A-t-on déjà entendu quelqu’un qualifier l’effet socioéconomique de la pandémie d’« extrêmement positif »? Pourtant, si l’on regarde la hausse de l’appétit des Canadiens pour les produits régionaux ou nationaux depuis mars 2020, c’est bien ce terme qu’on utilise pour décrire la reprise et l’avenir de l’industrie des aliments et des boissons du pays, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières.

Certes, cette industrie de 119 milliards de dollars avait accusé un recul de 5,2 % au pays à la mi-année 2020, mais elle est revenue à ses taux d’avant la pandémie, aux dires de la Banque de développement du Canada (BDC) dans son article Perspectives du secteur des aliments et des boissons : les répercussions des changements économiques sur les fabricants canadiens d’aliments et de boissons. Et son potentiel de croissance ne fait qu’augmenter grâce au soutien pangouvernemental de l’Équipe des affaires, de l’économie, du commerce et de la relance – formée en 2020 pour améliorer la collaboration et l’innovation, et composée d’Exportation et développement Canada (EDC), de BDC, d’Affaires mondiales Canada, du Service des délégués commerciaux et d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

En ce qui concerne les entreprises de ce secteur, nos clients, surtout des PME, sont extrêmement optimistes. Beaucoup d’entre eux s’en sortent très bien : ils ont su s’adapter, passer à la vitesse supérieure et tirer parti du comportement des consommateurs. Tout au long de la pandémie, j’ai aidé des entreprises à s’adapter en les conseillant sur la mise en œuvre de systèmes de gestion de la qualité et de programmes de salubrité alimentaire, et la réalisation de gains d’efficacité opérationnelle. Malgré les difficultés, les résultats de leur refonte illustrent comment l’industrie en général peut s’adapter et croître.

Effectivement, notre rapport indique qu’une croissance nationale robuste de 15,6 % est prévue dans ce secteur au cours des cinq prochaines années. Une telle croissance aura une incidence sur les exportations, qui représentent actuellement 30 % des ventes de produits, principalement vers les États-Unis. 

C’est une bonne nouvelle pour les producteurs agroalimentaires canadiens, mais c’est aussi le signe d’une importante vague de changements tant dans le mode opératoire des entreprises que dans le comportement des consommateurs vis-à-vis des produits.

Hausse de la salubrité, de la durabilité et de la qualité 

L’un des principaux moteurs de la croissance prévue pour l’industrie agroalimentaire est la réaction des consommateurs aux perturbations des réseaux d’approvisionnement au milieu de la pandémie. Devant les tablettes vides des grandes chaînes d’épicerie et l’incapacité des magasins à se réapprovisionner en produits importés à valeur ajoutée (ex. : sauce pour les pâtes, boissons gazeuses aromatisées et aliments congelés), les consommateurs ont voté avec leur portefeuille : les Canadiens étant contraints de manger à la maison pendant le confinement, les ventes des épiceries ont augmenté de 20 % de novembre 2019 à novembre 2020, malgré une baisse de 27 % de la production. 

La perturbation de la filière a en effet amené les gens à se demander quels produits sont de facture locale pour ensuite les ajouter à leur répertoire culinaire.

Beaucoup de nos clients, en particulier ceux qui privilégient la production artisanale, ont compris que les consommateurs choisissent d’encourager les producteurs régionaux et préfèrent de loin acheter les produits locaux pour leur qualité. On observait déjà cette tendance, mais la pandémie l’a placée dans l’esprit de tous.

Par exemple, la mode du pain maison illustre bien les effets de la perturbation de la filière : elle a vidé les stocks de farine produite par les multinationales et poussé les consommateurs vers les petits moulins locaux. Voyant que certaines chaînes d’épiceries n’étaient plus une source fiable pour les produits de base, les consommateurs qui avaient déjà choisi de s’alimenter selon leurs valeurs (par exemple en achetant local) ont tissé des liens de fidélité avec les producteurs locaux. Comme l’indique notre rapport, nous avons constaté qu’environ 21 % des Canadiens se sont tournés vers les produits locaux pendant la pandémie et que 74 % d’entre eux disent vouloir encore plus d’aliments et de boissons produits localement à l’avenir. 

Ainsi, la pandémie a fait des produits locaux, depuis toujours dans l’ombre des grandes chaînes, la nouvelle normalité. Les gens veulent maintenant une relation avec leurs fournisseurs alimentaires. Et l’un des bienfaits de cette façon de faire est la hausse de la consommation responsable.

Female shopping in grocery store.

Le prix des produits de base change le comportement des secteurs 

En plus des accrocs des chaînes d’approvisionnement, les entreprises agroalimentaires qui dépendent des importations ont dû faire face à une hausse de 15 % des prix des produits de base, prix qui devraient encore augmenter. Actuellement, 65 % des dépenses des producteurs alimentaires proviennent de produits alimentaires qui, avant la pandémie, risquaient déjà de subir les contrecoups des catastrophes naturelles, des changements climatiques et des aléas commerciaux. 

Pour les consommateurs, l’inflation alimentaire devrait se situer entre 3 % et 5 % cette année, les hausses les plus marquées étant pour les viandes et les légumes, selon le Rapport sur les prix alimentaires canadiens, publié par l’Université Dalhousie et l’Université de Guelph. On y lit que l’inflation alimentaire dépasse l’inflation générale depuis 20 ans, le ménage moyen ayant vu ses coûts augmenter de 170 %.

À certains égards, la demande des consommateurs durant la pandémie a façonné ces coûts, explique Alyssa Gerhardt, doctorante de l’Université Dalhousie, qui a travaillé sur le rapport. 

Nous avons constaté une augmentation de la demande de services en ligne dans les secteurs de la vente au détail et de la restauration, une hausse du nombre de Canadiens qui jardinent et cuisinent, et un regain d’intérêt pour les chaînes d’approvisionnement alimentaire locales.

Du côté des fournisseurs, la hausse du coût des matières premières, la perturbation des filières mondiales et l’augmentation de la demande des consommateurs ont eu un effet positif : un regain d’intérêt pour la diversification et la gestion allégée. 

Certains coûts sont refilés aux consommateurs, mais les fabricants canadiens revoient tout de même leurs moyens de production et leurs processus. Par le passé, l’industrie agroalimentaire a pris du retard par rapport à d’autres secteurs dans l’adoption de la production automatisée et des nouvelles technologies. Par exemple, seulement 49 % des transformateurs alimentaires ont investi dans les technologies de pointe en 2017. En raison de la pénurie de main-d’œuvre d’après la pandémie, de l’inflation et des protocoles de santé et de sécurité pour contrer le virus, l’automatisation gagne en popularité. 

Pour la première fois depuis longtemps, les producteurs cherchent des moyens de simplifier leurs activités : 

  • Ils adoptent l’automatisation pour réduire la volatilité des prix; 
  • Ils ajoutent des fournisseurs à leur liste et vérifient leur fiabilité; 
  • Certains cherchent des sources d’approvisionnement à proximité. 

Ceux qui dépendaient d’une seule entreprise d’emballage pour leurs expéditions au Canada cherchent maintenant un service local ou investissent dans leurs propres installations. Ces changements contribuent à la croissance du secteur.

En somme, plus les coûts augmentent, plus les producteurs alimentaires cherchent à améliorer leur efficacité et à travailler sur la promotion de leur image de marque. En effet, nombreux sont les producteurs qui mettent maintenant l’accent sur la provenance de leurs produits dans leurs démarches de marketing. Avant, le produit local était considéré comme ayant moins de valeur que le produit de masse, tandis qu’aujourd’hui, c’est un facteur de différenciation qui séduit les grandes chaînes d’épicerie.

Ces entreprises clament fièrement ce qu’elles sont (ex. : « J’habite une île de la Colombie-Britannique et je produis de la fleur de sel »). Les épiceries sont friandes de leur caractère artisanal et de l’histoire unique derrière leur marque. Les consommateurs aussi réagissent à ces histoires, et ils vérifient les valeurs éthiques de ces entreprises.

Croissance sur le marché mondial

Entre l’amélioration de la production, l’ajout de fournisseurs et la tendance à « acheter local », les producteurs agroalimentaires canadiens qui profitent de la croissance du secteur sont aussi prêts à ajouter aux 56 milliards de dollars d’affaires que le Canada réalise à l’échelle internationale dans le secteur agricole et agroalimentaire. Actuellement, le Canada est le cinquième exportateur mondial de ces produits après les États-Unis, l’Union européenne, le Brésil et la Chine. Au cours des dix dernières années, les exportations agricoles et agroalimentaires canadiennes ont augmenté de 103 % selon l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, une coalition d’organismes nationaux qui militent en faveur d’un contexte commercial international plus libre pour le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.


En plus de la réputation impeccable du Canada pour la salubrité de ses aliments, les producteurs agroalimentaires canadiens souhaitant trouver d’autres débouchés peuvent profiter des services financiers et consultatifs de BDC et de l’expertise d’EDC en gestion du risque. En effet, EDC
soutient les producteurs canadiens en mettant des solutions financières à leur disposition (financement des bons de commande, assurance crédit, modalités des paiements, prêts internationaux, etc.) et peut les aider à se protéger contre le risque de change grâce à sa Garantie de facilité de change. Et ils peuvent compter sur BDC, une société d’État financièrement viable qui a à cœur d’assurer le succès à long terme des entrepreneurs canadiens et est fière de servir les entrepreneurs depuis 1944. 

Pour tirer profit de la trajectoire de l’industrie agroalimentaire vers les marchés internationaux, il existe quatre grandes possibilités, qui sont décrites dans le rapport de BDC. 

  1. Diversifier les exportations 
    • Diversifier le type et l’éventail des produits alimentaires vendus à un plus grand nombre de partenaires commerciaux internationaux, tout en se concentrant moins sur les États-Unis. 
    • Créer et commercialiser des produits destinés à la classe moyenne émergente dans les économies en développement. 
  2. S’adapter à la demande du marché mondial
    • Concevoir des gammes de produits novatrices pour les consommateurs socialement responsables qui achètent en privilégiant la salubrité, la qualité, la durabilité et l’éthique plutôt que le prix.
    • Déterminer, à l’aide des études de marché, les besoins et les tendances de la classe moyenne émergente dans les pays en développement. 
  3. Prévenir les pénuries de main-d’œuvre compétente
    • Atténuer le risque de pénurie de main-d’œuvre en misant sur l’automatisation et les nouvelles technologies.
    • Investir dans la formation du personnel en numérisation de la production. 
  4. Repenser les processus de fabrication
    • Maximiser et stabiliser la production et les activités moyennant des outils d’optimisation, une planification précise et des analyses. 
    • Atténuer les imprévus en mettant en place des systèmes de gestion des stocks et des systèmes et protocoles en matière de salubrité des aliments.

Pour de nombreuses entreprises canadiennes, la pandémie s’est révélée un moment charnière : elle a mis − et met toujours − à l’épreuve leur capacité à adapter leurs produits, leurs services et même leur marketing à la nouvelle réalité. Malgré les nombreux revers, elle a donné raison à la vieille rhétorique : chaque difficulté est une occasion d’apprendre et de grandir.